Par Peter Duran – Pôle-relais tourbières, le 25/08/2023
Vous avez certainement entendu parler du projet de loi européenne sur la restauration de la nature, mais vous avez peut-être du mal à suivre une situation qui évolue rapidement – et à comprendre ce que cela implique précisément pour les tourbières en France et en Europe. Nous avons décrypté la situation pour vous.
Au départ
La version originale de la proposition de règlement relatif à la restauration de la nature remonte à juin 2022. Cette proposition ambitieuse de la Commission européenne ciblait une restauration inédite des écosystèmes naturels dégradés d’Europe : 20% avant 2030, et pas moins de 100% avant 2050.
Les tourbières, dès le début, en faisaient partie : l’article 9(4) de la proposition initiale de 2022 cible la restauration de :
- 30% des tourbières drainées avant 2030 (dont un quart d’entre d’elles doivent être remise en eau),
- 50% avant 2040 (dont la moitié d’entre d’elles doivent être remises en eau),
- et 70% avant 2050 (dont la moitié d’entre d’elles doivent être remises en eau).
Dans tous les cas, l’essentiel de ces sites drainés étaient censés être des terrains agricoles (dans cette formulation, moins de 20% des tourbières restaurées par décennie pouvaient concerner des sites drainés, dans un contexte autre qu’hors agricole ou d’extraction de tourbe).
Assez rapidement, de nombreuses parties prenantes ont analysé la proposition de loi en soulignant des points forts et des éléments à améliorer. L’ « European Habitats Forum », coalition d’acteurs environnementaux aux échelles européenne et globale (dont le WWF, la Society for Ecological Restoration, et Euronatur), ont fait appel au Parlement européen en demandant de renforcer les cibles sur les tourbières. Cette fiche résumant la demande, rédigée (en anglais) par le Greifswald Moor Centrum et par Wetlands International en septembre 2022, précise, entre autres, que « la remise en eau est un prérequis à la restauration des tourbières drainées », c’est-à-dire que pour considérer qu’une tourbière a été restaurée, elle doit forcément avoir été remise en eau.
Dans cette demande, le pourcentage de sites à restaurer est bien supérieur à ceux listés dans la proposition de juin 2022.
D’autres acteurs politiques se sont opposés à la proposition, notamment le Parti populaire européen, qui a affirmé qu’elle menaçait l’économie, notamment les activités agricoles, et l’urbanisation. Ces affirmations ont déclenché d’autant plus de débats et de négociations, permettant de considérablement faire évoluer la proposition de loi.
Un an après la proposition initiale
Les mois de juin et juillet 2023 ont vu émerger trois décisions de la part des organes de l’union européenne. Le 20 juin, le Conseil de l’Union européenne a formulé son approche du projet de loi en convenant de modifications légères, s’éloignant peu de la proposition de la Commission. Les 15 et 27 juin, les comités du Parlement ont finalement voté plusieurs propositions n’acceptant aucune version de la loi.
Le 12 juillet, la plénière du Parlement a accepté une proposition de loi avec des modifications significatives ayant des conséquences importantes sur les tourbières. L’intégralité de l’article 9(4) et des objectifs associés aux terrains agricoles, dont les tourbières drainées, a été abandonné
Si l’existence d’un projet de loi sur la restauration reste une avancée pour les acteurs de la gestion conservatoire des milieux naturels, l’abandon de la mesure relative à la restauration des tourbières drainées dans la version de la loi acceptée par le Parlement est une déception.
Et ensuite ?
La prochaine étape, c’est ce qu’on appelle les Trilogues : des négociations entre la version acceptée du Parlement, la position du Conseil (plus forte, ayant retenu des cibles sur les tourbières), et la proposition de la Commission. A partir de ces échanges, une version finale de la loi sera proposée.
Le Pôle-relais tourbières suivra de près ces négociations, et vous tiendra au courant des résultats dans un prochain numéro de Tourbières Infos.