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Tourbières et climat

Les tourbières, naturelles ou dégradées, interagissent avec l’atmosphère en tant que sources ou puits de différents gaz à effet de serre, qui sont principalement le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O). Les formes dissoutes du carbone, le carbone organique dissout (COD) et le carbone inorganique dissout (CID), constituent aussi une part importante du cycle du carbone des écosystèmes tourbeux.

Tourbières, carbone et gaz à effet de serre : quels sont les liens ?

Les tourbières, naturelles ou dégradées, interagissent avec l’atmosphère en tant que sources ou puits de différents gaz à effet de serre, qui sont principalement le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O). Les formes dissoutes du carbone, le carbone organique dissout (COD) et le carbone inorganique dissout (CID), constituent aussi une part importante du cycle du carbone des écosystèmes tourbeux.

Globalement les échanges de CO2 entre l’écosystème et l’atmosphère se font par le captage de CO2 via la photosynthèse des plantes d’une part, et par le relargage de CO2 lors du processus de respiration de l’écosystème d’autre part (respiration de l’ensemble des organismes auto- et hétérotrophes. La différence entre prélèvement et relargage est appelée Net Ecosystem Exchange (NEE)).

Les flux de méthane et d’oxyde nitreux sont fortement liés à l’activité microbienne. En conditions anaérobies, le CH4 est produit par les microorganismes méthanogènes présents dans la tourbe. Il est émis vers l’atmosphère par des processus de diffusion, et sous forme de bulles transportées via les aérenchymes de certaines espèces de plantes.

A la différence du méthane, les variables environnementales qui impactent les flux de N2O sont moins bien connues mais les tendances générales reportées dans la littérature scientifique montrent que l’usage de fertilisants sur les tourbières tend à augmenter les émissions des N2O. Une baisse des niveaux de nappe semble également provoquer une augmentation des émissions.

Chacun de ces gaz possède un pouvoir de réchauffement différent et une durée de vie spécifique dans l’atmosphère, c’est pourquoi il convient d’exprimer les valeurs de flux en équivalent CO2 (Tableau 1).

Pouvoir de réchauffement global (GWP en CO2e)
GazTemps de résidence dans l’atmosphère (années)20100500
CO25 – 200111
CH41284287.6
N2O121264265153
Tableau 1 – Synthèse du potentiel de réchauffement global des principaux gaz à effet de serre issue des tourbières (Myhre & al., 2013 ; Forster & al., 2007)
Impact climatique des tourbières en bon état de conservation

Le dioxyde de carbone

En situation de fonctionnement « normal », c’est-à-dire pour des sites dont le fonctionnement hydrologique n’a pas été perturbé, les tourbières sont naturellement émettrices de méthane, et stockent le CO2 atmosphérique dans la tourbe au cours du processus de turfigénèse.

Sur des échelles de temps relativement courtes (d’une à quelques années) une tourbière intacte peut cependant être une légère source de CO2 ou avoir un bilan neutre (Roulet & al., 2007 ; Nielsen & al., 2008 ; Koehler & al., 2011).

Malgré cela, sur le long terme, les tourbières actives agissent comme des puits de carbone. La vitesse d’accumulation a été estimée à partir de profils de tourbe datés et de mesures de concentrations en carbone. Pour les tourbières boréales, ce taux est estimé entre 100 et 400 kg de C.ha-1.an-1. Dans les tourbières tropicales, ce taux peut atteindre 1000 kg de C.ha-1.an-1 (Jurasinski, 2016).

Le méthane

En conditions anaérobies, la décomposition de la matière organique génère du CH4. Ce processus se déroule naturellement dans les sols saturés en eau. Les tourbières comme les autres zones humides sont donc naturellement émettrices de méthane.

Les quantités de méthane émises par les tourbières peuvent être très variables, allant de 0 à 650 kg de CH4.ha-1.an-1. Cette variabilité est principalement dépendante de l’hydrologie, de la température et de la végétation

Au contact de l’oxygène le méthane s’oxyde pour former du dioxyde de carbone et de l’eau. Dans les tourbières cette réaction se produit dans les couches ‘aérées’ de l’acrotelme, les émissions de méthane par cette voie sont donc limitées. En revanche, la présence de plantes dotées d’aérenchymes* (Phragmites australis, Typha spp.) joue un rôle majeur dans les émissions de méthane. Ces structures physiologiques agissent en effet comme des pailles qui permettent au méthane d’atteindre directement l’atmosphère sans passer par les horizons « aérés » de l’histosol. Dans le sens inverse les aérenchymes peuvent conduire l’oxygène dans les couches profondes et anoxiques de tourbe, oxydant ainsi le CH4 et limitant sa formation. Ces plantes constituent donc un paramètre majeur des émissions de CH4 dans les systèmes tourbeux puisque 90% des émissions de méthane se feraient par cette voie.

Les oxydes nitreux

Le dernier gaz à effet de serre est l’oxyde nitreux (N2O), GES à très fort potentiel de réchauffement. En général, les tourbières intactes n’émettent pas de quantités significatives de N2O. Les plus fortes émissions enregistrées sont souvent associées à des niveaux de nappes très variables (Jurasinski, 2016).

Et globalement ?

En tenant compte du pouvoir réchauffant de ces 3 gaz à effet de serre sur une période courte (100 ans), les tourbières intactes n’ont pas d’effet significatif sur le climat. En revanche, sur des périodes de temps plus longues, à l’échelle de l’holocène par exemple, les études estiment que les tourbières ont globalement eu un effet de refroidissement net sur le climat (Frolking and Roulet, 2007). A cette échelle de temps, la séquestration du CO2 devient plus importante pour le climat que les émissions de méthane, qui s’oxyde plus rapidement dans l’atmosphère.


*Un aérenchyme, appelé aussi parenchyme aérifère, est un tissu à lacunes remplies de gaz formant un canal dans les organes de plantes, notamment les racines et les tiges de certaines plantes aquatiques, ayant un rôle de flotteur et de réserve potentielle de gaz nécessaires à la photosynthèse et à la respiration.

Impact climatique des tourbières dégradées

On entend ici par « tourbières dégradées », toute atteinte conduisant à un assèchement et a une minéralisation de la tourbe.

Dans cette configuration les flux de GES des tourbières sont totalement modifiés. Le CO2 est émis en grande quantité par oxydation de la tourbe. Les émissions de méthane sont stoppées car sa production dans les couches anaérobies est réduite d’une part, et il est oxydé dans les couches de tourbe drainées et donc aérées d’autre part.

En ce qui concerne les oxydes nitreux, leurs émissions sont également en augmentation dans les tourbières drainées car l’azote organique contenu dans la tourbe est dégradée en présence d’oxygène. Si cette dénitrification est incomplète, production de N2O et émissions. Ces émissions d’oxydes d’azote peuvent être considérablement augmentées en cas d’utilisation agricole et de fertilisation minérale ou organique.

Ainsi, chaque année, les tourbières drainées émettent à l’échelle de la planète environ 2 Gt de CO2, ce qui représente environ 5% du total des émission anthropogènes, alors qu’elles n’occupent de 0,3% de la surface du globe (Bonn and British Ecological Society, 2016).

En fonction du type de tourbières et de l’intensité des perturbations qui les affectent, les valeurs d’émissions s’échelonnent de 5 à 35 t CO2-eq.ha-1.an-1 (Bonn et al., 2014) pour les tourbières de couverture du royaume uni.

Des valeurs comprises entre 15 et 35 t CO2-eq.ha-1.an-1 pour les tourbières minérotrophes d’Europe centrale, drainées et gérées en prairies intensives (Jurasinski, 2016)

Des processus réversibles grâce aux travaux de restauration hydrologique

Les travaux de restauration hydrologique permettent de stopper (ou de limiter significativement) les émissions de CO2 d’une tourbière drainée. Elles peuvent toutefois rester significatives si les travaux ne permettent pas une relative stabilité des niveaux piézométriques. La variabilité de la nappe, tout comme son niveau moyen, sont des facteurs importants pour les émissions de GES dans les tourbières.

La remise en eau entraine logiquement une augmentation des émissions de méthane dont la quantité est variable en fonction des situations. Pour les tourbières hautes oligotrophes, les émissions sont comparables à celles d’une tourbière intacte et il n’y a pas vraiment de pic de méthane après restauration. En revanche, dans les tourbières avec un niveau trophique plus élevé, les émissions de méthane peuvent être très importantes les années suivant la remise en eau. Dans les bas-marais eutrophes, le bilan GES peut être pire pendant cette phase transitoire qu’avant restauration. Cette situation s’observe également en cas d’inondation de plusieurs centimètres.

Toutefois ces émissions sont fortement corrélées au niveau moyen de nappe et il semblerait qu’un niveau moyen à -10 cm permette de limiter cette augmentation des émissions de méthane (Strack, 2008). Les pièces d’eau libre (anciennes fosses d’extractions par exemple), ou les canaux de drainage remis en eau, demeurent généralement des sources de méthane (Waddington & Price, 2000). Jarašius & al. (2022) estiment à environ 3t eCO2 /ha/an le potentiel de réchauffement de ce type de milieu.

En tenant compte du potentiel de réchauffement de ces deux gaz, les études montrent toutefois que la restauration des tourbières conserve tout son potentiel d’atténuation du changement climatique (Günther et al., 2020).

Elle permet par ailleurs d’avoir un impact bénéfique pour la biodiversité et d’autres services écosystémiques liés à la ressource en eau.

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